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DESTINATION N°4 DU PALMARÈS VOYAGE « LE MONDE » 2020.

décembre 5, 2019
Voyages
Au cœur de l’Abyssinie royale Par François Bostnavaron
Publié Le Monde
 
De la reine de Saba à Lalibela, les quatre capitales des royaumes d’Ethiopie nous plongent dans une histoire mythique.
 
Le prix Nobel de la paix attribué au premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, le 11 octobre, pour son action en faveur de la réconciliation de l’Ethiopie avec l’Erythrée donnera-t-il un nouvel élan à la fréquentation touristique du berceau de l’humanité ? On veut le croire, tant ce pays mystérieux aux 100 millions d’âmes a à offrir. Deuxième plus vieil Etat chrétien au monde après l’Arménie, longtemps inaccessible, ce pays magique s’ouvre enfin, même si, ponctuellement, quelques zones frontalières (Soudan, Soudan du Sud, Somalie, Kenya) restent déconseillées par le Quai d’Orsay. Premier contact avec ce pays au travers des hauts plateaux du Nord et de sa route historique qui, sur près de 3 000 kilomètres, nous mène vers les quatre capitales des anciens royaumes, d’Aksoum à Gondar, de Bahir Dar à Lalibela.
Aksoum, dans les pas de la reine de Saba
Notre première étape nous mène au nord, dans la province du Tigré, à Aksoum, à une soixantaine de kilomètres de la frontière érythréenne. Notre guide, Atsinaf, commence à nous parler de la reine de Saba, du roi Salomon, de l’Arche d’alliance… et quasi immédiatement surgit l’image d’Indiana Jones ! Notre âme d’aventurier s’éveille.
 
La chasse aux trésors d’histoire commence là, au milieu d’un champ de stèles situé à l’extrémité de l’artère principale de la ville, en bordure de champs. Impossible de louper l’endroit : deux obélisques monumentaux qui datent du IIIe ou IVe siècle de notre ère se dressent vers le ciel au côté d’un troisième encore plus grand, hélas brisé, qui gît sur le sol… Pas d’inscriptions particulières, mais comme des fenêtres et des portes gravées sur leurs différentes faces… « Volé » par Mussolini en 1937 et restitué par l’Italie en 2005, l’un des deux obélisques que l’on voit à l’entrée du site n’a été réinstallé qu’en 2008.
 
C’est aussi ici, dans la capitale du royaume aksoumite, également berceau d’une des plus importantes civilisations de l’histoire éthiopienne, que s’est tissé le lien entre la tradition éthiopienne et le récit biblique. En effet, dix siècles avant Jésus-Christ, la reine de Saba serait partie d’Aksoum pour rencontrer Salomon à Jérusalem. Revenue enceinte après son périple, elle donnera naissance à un fils qui deviendra le premier roi salomonide, Ménélik Ier, fondateur d’une dynastie qui ne s’éteindra qu’en 1974 avec la mort de Haïlé Sélassié.
 
Il faudra toutefois attendre le IVe siècle et la conversion au christianisme du roi Ezana d’Aksoum pour que le royaume devienne le deuxième pays après l’Arménie à adopter le christianisme comme religion d’Etat. La première cathédrale, Sainte-Marie-de-Sion, date de cette époque. Détruite au moins deux fois et rebâtie depuis, c’est dans le Saint des Saints de cette église qu’aurait été conservée l’Arche d’alliance avant qu’elle ne rejoigne une chapelle mitoyenne bâtie par le roi Haïlé Sélassié. Un bémol : nul n’a droit de la voir, au risque qu’elle devienne… invisible. Seul un moine, désigné gardien à vie, reste à l’intérieur de la chapelle sans jamais en sortir.
 
Gondar, quartier juif et Fasil Ghebi
Première capitale d’Abyssinie, Gondar est aujourd’hui la quatrième métropole éthiopienne. Bâtie sur les contreforts du Simien, à 2 200 mètres d’altitude, cette ville moyenne de quelque 200 000 habitants a gardé de l’occupation italienne (1936-1941) quelques piazze ainsi que des maisons aux façades colorées. On se balade dans le quartier juif de Gondar. Devant une petite synagogue, on y croise des Ehiopiens coiffés de kippas… C’est ici, dit-on, qu’il y aurait la plus grande communauté d’Ethiopiens de confession juive : 6 000 falachmoras, ou Beita Israël, comme ils préfèrent se nommer, en attente d’un visa pour pouvoir réaliser leur alya pour l’Etat hébreu et rejoindre les quelque 100 000 juifs éthiopiens qui y vivent actuellement.
 
Fondé au XVIIe siècle par l’empereur Fasilides,  le château accueillait les empereurs d’Ethiopie.
L’enceinte royale de Fasil Ghebbi, les vestiges d’une ville-forteresse située à Gondar. Fondé au XVIIe siècle par l’empereur Fasilides,  le château accueillait les empereurs d’Ethiopie. 
Gondar, qui a connu son âge d’or du XVIIe au XIXe siècle, est célèbre pour le Fasil Ghebbi, le château de l’empereur Fasiladas. Au cœur d’une enceinte fortifiée, on découvre avec surprise des édifices de pierre grise, avec des créneaux, des donjons, des tours d’angle qui nous plongent au cœur du Moyen Age. Nombre de bâtiments sont encore en ruine, ultime témoignage des bombardements anglais de 1941, alliés de Haïlé Sélassié, pour déloger les Italiens qui s’y cachaient… Fasiladas fit également construire un grand nombre de bâtiments en dehors de l’enceinte fortifiée comme un palais d’été, à proximité du quartier juif, logé au milieu d’un immense bassin souvent vide, jadis au-delà des limites de la ville. Ces bains royaux accueillent désormais la fête de Timkat qui célèbre au mois de janvier le baptême du Christ.
 
La religion n’est jamais loin en Ethiopie. C’est aussi à Gondar que l’on trouve l’une des plus belles églises du pays, celle de Debré Berhan Selassié, fondée par l’empereur Iyasou Ier (1682-1706), bâtie par des maçons et des ouvriers formés par des missionnaires portugais. A l’intérieur, des fresques murales de toute beauté ainsi qu’un plafond couvert de 80 chérubins aux yeux écarquillés qui semblent suivre le visiteur de leur regard insistant…
 
Bahir Dar, lac Tana et chutes du Nil Bleu
L’étape de Bahir Dar se justifie surtout par sa situation géographique, au bord du lac Tana. C’est une ville balnéaire – il est pourtant déconseillé de se baigner dans le lac – avec quelques beaux resorts, souvent équipés d’une agréable piscine et de très belles terrasses. C’est surtout le point de départ de deux très belles excursions : l’une vous mènera à la découverte de quelques îles du lac d’origine volcanique où se trouvent de très beaux monastères, l’autre vous conduira aux chutes du Nil Bleu qui, hélas, ont perdu de leur superbe – elles ont été victimes d’un barrage en amont qui détourne une partie des eaux du fleuve, et l’eau, qui tombe 45 mètres plus bas dans un fracas sourd, ne coule plus que sur un tiers de la largeur initiale – mais restent diablement impressionnantes…
 
La croisière sur le lac Tana, grand comme un département français, ne laisse personne indifférent : les pélicans y vivent en nombre, jamais très loin d’un pêcheur qui, comme dans une carte postale, à bord de son tankwa, pirogue tressée en papyrus, jette avec élégance son filet. La jacinthe d’eau a, hélas, proliféré, réduisant un peu plus l’espace de pêche… Il faudra choisir, pour la visite, entre une trentaine d’îles et 38 monastères datant presque tous du XIVe siècle. Celui de Narga Sélassié, avec son église circulaire aux très belles fresques sur l’île de Dek, est magnifique, comme celui d’Ura Kidane Mehret, bâti sur la péninsule de Zeghe.
 
Lalibela, la « nouvelle Jérusalem »
Le vrai Graal de cette route historique se situe à 300 kilomètres à l’est de Bahir Dar, à Lalibela. Première ville sainte d’Ethiopie qui voit chaque année plusieurs milliers de chrétiens converger vers ses églises, elle occupe une place centrale dans l’économie touristique du pays. Le site de Lalibela, du nom du roi qui aurait régné de 1190 à 1225, compte onze églises, excavées, taillées d’un bloc, dans la roche de ces hauts plateaux de 2 600 mètres d’altitude.
 
Fâché que les conquêtes musulmanes aient mis un terme aux pèlerinages chrétiens en Terre sainte, le roi Lalibela aurait décidé de construire une « nouvelle Jérusalem » en terre africaine… A tel point qu’on retrouve sur le site le Jourdain, plus ruisseau que fleuve, un mont Sinaï, un mont des Oliviers, la maison de Marie et la tombe d’Adam. Toutes ces églises sont reliées entre elles, en réseau, par des couloirs ou des souterrains datant de la fin du XIIe siècle ou du début du XIIIe siècle.
 
Chacune conserve son propre prêtre, qui est également son gardien… Une seule, Saint-Georges (Bete Giyorgis en araméen), monolithe de 11 mètres de haut, en forme de croix grecque, est située un peu à l’écart du site, mais c’est de loin la plus photographiée, la plus célèbre, et à l’évidence la plus fabuleuse.
 
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