Jeux Olympique

ABEBE BIKILA, SA MAJESTÉ AUX PIEDS NUS

juillet 28, 2021
Actualité, Culture, Sports

Dans quelques jours, les jeux Olympiques de Tokyo vont commencer. Durant ces tournois, résurrection des traditions de la Grèce antique, des athlètes venus du monde entier vont s’affronter dans les disciplines les plus diverses. Dans le large panel des sports représentés, des épreuves phares éclairent ces rencontres internationales. Et durant ces épreuves phares émergent souvent des moments forts…  Le marathon vient immédiatement à l’esprit. Et depuis la mort du messager grec Phidippidès, venu annoncer à Athènes la victoire contre les Perses à l’issue de la bataille de Marathon, seule la victoire d’Abebe Bikila aura marqué l’inconscient de façon si tenace. L’occasion d’un retour sur la vie d’un sportif de légende qui alliait grâce et panache 

PIEDS NUS

Cette nuit du 10 septembre 1960 à Rome, le peloton de tête s’engage sur la voie Apienne, illuminée par les torches. Parmi ce groupe de favoris, une silhouette filiforme avec un débardeur vert et short rouge et jaune s’est infiltrée et tient le rythme. Les commentateurs sont plus étonnés encore par le fait que cet homme qui porte les couleurs de l’Ethiopie court pieds nus. Soudain, à deux kilomètres de l’arrivée, au pied de l’obélisque d’Aksoum, l’athlète accélère comme si d’un coup, d’un seul, la fatigue des kilomètres précédents n’existait pas. Le sportif laisse spectateurs et experts sidérés ! Qui est cet homme qui attendait en embuscade ? Cet inconnu qui défie les meilleurs va-t-il gagner ? Sont-ils beaucoup à ce moment à déceler le poids hautement symbolique de cette attaque foudroyante et imparable ? Abebe Bikila, 28 ans, fils de berger, a aiguisé sa formidable endurance en faisant paître le troupeau familial, le plus souvent en se passant de chaussures. La corne de ses pieds s’est affermie et épaissie en arpentant inlassablement les terres vallonnées autour de son village de Jato. Très jeune, il intègre le corps d’élite chargé de la garde rapprochée de l’empereur Haïlé Sélassié. Mais Bikila n’a commencé l’entrainement à la course que sur le tard à 24 ans soit seulement quatre avant ce marathon époustouflant. Aucun observateur n’aurait parié sur cet ovni. Personne n’a tendu l’oreille quand son entraineur suédois Onni Niskanen le décrivait ainsi : « un cas exceptionnel, il n’est jamais fatigué et éprouve rarement le besoin de boire un verre d’eau après une séance d’entraînement ». Pire, les performances enregistrées et déclarées ont toutes été jugées comme fantaisistes et irréelles. Cette mésestime accompagne l’Africain jusqu’à la ligne de départ où il se présente, objet de moquerie générale, pieds nus. Abebe Bikila n’a pas choisi le moment de l’estocade finale par hasard. Elle s’est déroulée sous le monument que les troupes de Mussolini avaient dérobé à l’Ethiopie lors de leur invasion en 1937. L’Ethiopien ne laisse aucune chance à ses adversaires, Rhadi le marocain grand favori est laissé sur place. Bikila franchit seul l’arc de Constantin, le lieu-même d’où le Duce avait annoncé la guerre contre son pays. En 2h15’16, il bat, au passage, le record du monde. Et c’est presque avec décontraction, tout en refusant la couverture tendue à l’arrivée, qu’il déclare aux journalistes venus l’assaillir : « Dans la Garde Impériale, il y a beaucoup d’autres coureurs qui auraient pu gagner à ma place. »

TÊTE HAUTE

La légende de “l’homme capable de courir du lever au coucher du soleil” vient de naitre. Premier champion olympique de l’Afrique noire, il est accueilli de retour au pays en héros national. Il reçoit de la main de l’empereur, en signe de gratitude, voiture et appartement. Il s’entraine en vue des prochains Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. C’est durant l’une de ces séances qu’il ressent une douleur vive et intenable au ventre. Transporté à l’hôpital, on lui diagnostique une appendicite aigue pour laquelle il faut l’opérer d’urgence. Ce contretemps qui a tout pour décourager le champion se produit un mois à peine avant la course. Le secret de cette intervention médicale est jalousement gardé. À quoi pense-t-il dans les starting-blocks ? Cette récente défaillance va-t-elle l’empêcher de vaincre ?  En chaussures cette fois-ci il part prudemment. Aujourd’hui, tous les concurrents ont les yeux rivés sur lui. Mais après quelques kilomètres seulement et comme s’il avait décidé de déjà conclure, il les dépasse tous et s’échappe. Hors de portée et imbattable… Bikila devient ainsi le premier athlète à gagner deux fois le marathon olympique et à 2 h 12 min 11 sec, il balaye son propre record du monde.  Par la suite, la fatalité s’acharnera à lui faire payer cette gloire. Les complications d’une fracture du péroné l’obligent à abandonner plusieurs compétitions dont les Jeux Olympiques de Mexico en 1968. Pire en 1969, il est victime d’un grave accident de la route. Il passe la nuit, incarcéré dans la carcasse de sa Coccinelle. Au petit matin, après qu’un berger l’ait découvert, il est transporté d’urgence dans un hôpital londonien via l’avion personnel de l’Empereur mis à sa disposition. Pendant de longs mois, il se débat contre la mort. Mais le verdict est sans appel : la nuque est brisée et il ne retrouvera jamais l’usage de ses jambes. Devenu paraplégique mais n’ayant rien perdu de sa combattivité légendaire, il se lance dans la course en fauteuil et au tir à l’arc. Finalement, une hémorragie cérébrale relative à son accident, a raison de lui en 1973. La mort a réussi à force d’acharnement à rattraper le coureur de légende

Malgré sa vie brève et menée à toute vitesse, Abebe Bikila est considéré comme l’un des plus grands marathoniens de tous les temps. Il a ouvert depuis la voie à une dynastie des grands coureurs de fond kenyans et éthiopiens. Mais à l’époque, la prouesse d’Abebe Bikila, outre son côté sensationnel, revêt un caractère propre au combat de David contre Goliath. L’athlète est allé arracher, contre toute attente, la victoire sur le sol de l’ancien oppresseur. Un continent entier se reconnait et reprend fierté dans ces exploits. Ils précèdent de peu les luttes d’indépendance qui vont l’agiter et le galvaniser.  L’homme a depuis inspiré marque, livres et films. Saviez-vous, par exemple, qu’il a servi de modèle à Dustin Hoffman pour sa composition dans « Marathon Man » ? En tous cas, bien qu’étant la patrie d’Abebe Bekele et d’Haile Gebrselassie, entre autres, rien ne vous oblige de visiter l’Ethiopie en courant…

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